Les Moulins : « J’ai même pensé à quitter le quartier »
Depuis de nombreuses années, le quartier des Moulins à Nice s’enlise dans le trafic de drogue et la violence. Ces derniers mois, de nombreuses fusillades ont éclaté. Habitants et commerçants témoignent de leur vie quotidienne.
« Le quartier, ce n'est pas le trafic de drogue ! », s’exclame Sabrina, vendeuse dans la boulangerie le Moulin Niçois. Elle poursuit « j’en ai marre des clichés, tout le monde confond le quartier et le trafic de drogue. Oui, il y a du trafic, mais les trois quarts des habitants sont d’honnêtes personnes. » Construit dans les années 60-70, le quartier des Moulins est jugé comme un quartier sensible, enraciné par des conflits sur fond de trafic de drogue (cannabis et cocaïne essentiellement). Les bandes rivales s’affrontent en plein jour au cœur du quartier. Le matin du mardi 14 novembre, des tirs de kalachnikov entendus près d’un point de deal connu ont glacé le sang des témoins. La veille, une opération de grande envergure coordonnée entre la PJ niçoise et son homologue italienne avait eu lieu. Elle a abouti au démantèlement du point de vente surnommée « la laverie. » Avec un chiffre d’affaires journalier estimé entre 15 000 et 20 000 euros, le business était florissant. 186 kg de résine de cannabis, 9 kg d'herbe de cannabis, 900 grammes de cocaïne ainsi que 125 815 euros ont été saisies lors de perquisitions. Moins de 24h plus tard, de nouveaux trafiquants ont remis en service laverie qui tourne à plein régime. Malgré la présence policière, l’usage de la force leur a permis de reprendre possession des lieux. Depuis novembre dernier, les habitants assistent impuissants à une escalade de la violence qui fait craindre le pire. Une habitante, sortant de ces courses, confie émue « On a peur de vivre un drame. Sortir en plein jour est devenu dangereux. Avant, ils réglaient leurs problèmes de leur côté dans le respect, maintenant, c'est devant notre porte, sous les yeux de nos enfants. » À la Boucherie de la côte, le patron inquiet confirme « c’est de pire en pire. » Il poursuit « En cinq ans, j’ai vu une vraie évolution, aujourd’hui, ils osent utiliser leurs armes en plein jour à la vue de tous. Il y a une réelle différence, à l’époque le trafic se faisait dans la discrétion, maintenant la vente, c'est à ciel ouvert. » Il avoue tristement : « J’ai même pensé à quitter le quartier. » La violence liée au trafic de drogue fait peur aux clients. « J’en discute avec eux, certains n’en peuvent plus de subir cette situation, mais ils n’ont pas le choix, car ils n’ont pas les moyens de partir vivre ailleurs. » Depuis l’arrivée du tram en 2019, l’accès est difficile. « La ligne de tram passe juste devant (la boucherie), on fait face à des problèmes de stationnement. Certains habitués arrivent et ils ont pris 2-3 PV dans la même semaine. »Au café-restaurant Chez l’Ancien, le discours est tout autre.
« Ici, c’est pas BFM »
Le serveur de Chez l’Ancien, lieu de rencontre où les habitants apprécient se retrouver, ne ressent pas de baisse de fréquentation, « les habitués sont toujours présents au rendez-vous. Le soir, c'est assez animé, beaucoup viennent se retrouver décompressé avoir la journée de travail. » Une habitante du quartier depuis 32 ans vient ici plusieurs fois par semaine sans crainte. « On continue nos petites habitudes, on ne change rien, on fait notre vie tranquille sans se soucier du trafic de drogue. » Son ami, petite bière à la main, réplique : « Ici, ce n'est pas BFM, le quartier n'a rien avoir avec ce qu’on vous montre à la télé. Oui, il y a du trafic de drogue, mais nous habitants vivons simplement notre vie sans s’en préoccuper. » Le serveur confirme, « je viens travailler chaque jour ici sans voir une boule au ventre, je suis très heureux dans mon travail. » Malgré le trafic de drogue et la peur de certains, une partie des habitants et des commerçants sont fiers de leur quartier. C’est le cas de Sabrina, la vendeuse en boulangerie. « Les Moulins, c'est un quartier chaleureux, très convivial où les valeurs d’entraide et de solidarité sont très présentes. » Par exemple, « si quelqu’un n’a pas de quoi payer, quelqu’un le fait à sa place, sans se poser de question. » Elle se souvient, « la semaine dernière, j’ai vu un jeune aider une maman avec sa poussette, les petits gestes de quotidien comme sa personne vous en parle, pourtant tous les jours, ils ont lieu. » Pour eux, le quartier de Nice où règne l’insécurité demeure le Vieux-Nice. « Moi, je me sens beaucoup plus en sécurité aux moulins, en tant que jeune femme, je ne mets jamais les pieds au Vieux-Nice la nuit, beaucoup trop risqué », confie Sabrina. Chez l’Ancien, on partage cet avis. « Le Vieux Nice, c'est tellement pire qu’ici, il y a beaucoup de coups de couteau à la sortie des bars, c’est dangereux. » Depuis plusieurs années, la mairie tente de redonner vie au quartier en insufflant un second souffle. « Les seuls commerces qui ferment sont dus au plan de réhabilitation de la ville », remarque un habitant. Les pharmacies et les boulangeries ont été rénovées. Fin 2022, un jardin d’enfants sur la place des Amaryllis (place centrale où des règlements de compte se sont produits) a vu le jour tout comme un centre social a ouvert.
Une présence policière permanente
À la boucherie, les camions de police ont bien été remarqués. « Il y a tout le temps la police qui fait des rondes dans le quartier. Ce n’est pas rassurant, je connais des habitués qui venaient plusieurs fois par semaine et qui aujourd’hui viennent toujours, mais beaucoup moins souvent. » En avril dernier, la divulgation d'une vidéo amateur montrant un jeune homme portant une kalachnikov en pleine rue avait conduit à une vague d'interpellations. Depuis début janvier, 17 agents armés et assermentés sont arrivés. Leur mission est d’assurer la sécurité dans un quartier sensible, théâtre de plusieurs fusillades lié au trafic de drogue. Il s’agit d’anciens militaires, gendarmes, policiers et agents de sécurité. La ville de Nice est la quatrième en France à mettre en place ce dispositif. L’espoir peut être de retrouver des touristes. À l’hôtel du quartier, Parme Étape, la question de fréquentation agace. « On est un hôtel, on ne perd pas de clients. » L'argument avancé est celui de la situation géographique. « On est situé à côté de l’aéroport, c’est idéal et en été la côte d’Azur atteint un taux de remplissage de 93%. » Aucun chiffre ne sera communiqué pour confirmer ces paroles. « Les chiffres, je ne peux pas vous les donner. » Impossible de savoir l’impact réel des récents événements, notamment les fusillades. Même si aucune baisse de fréquentation n’est constatée chez l’Ancien, seuls les habitants du quartier se réunissent. Le serveur déplore : « c’est vrai que l’on ne voit pas du tout de touristes, c’est dommage. » Il admet quand même « les Moulins sur le papier ça ne fait pas rêver, ce n'est certes pas le quartier touristique de Nice, mais c’est sympa. » Le quartier des Moulins est classé Quartier de reconquête républicaine depuis 2019. En 2013, il était considéré comme une « zone de sécurité prioritaire ».
Pauline Andrieu
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